Le programme du parti socialiste suisse (PS), c’est comme la Fête des vignerons: un seul par génération. Sur un canevas qu’imposent la nature et l’histoire, la grêle et les vendanges aux grappes lourdes, les crises économiques et la croissance du mieux-être, s’invente la nouvelle dramaturgie, une fois par quart de siècle. Nous y sommes. Le PS a rendu public son projet.
Méthode
La réflexion politique est un exercice complexe. Il tient de la philosophie, il se démontre par la praxis. L’égalité, ou l’égalité des chances, est une valeur qui doit guider l’action, nous dit-on. Mais au nom de quoi faire ce choix?
La politique se joue dans un espace façonné par l’histoire, délimitant un territoire, inventant des institutions tels le fédéralisme et la démocratie directe.
La population concernée par le projet politique se répartit selon sa formation, son âge, ses ressources. Elle répond à tout un descriptif démographique.
Enfin le programme politique doit décrire sinon une société idéale, du moins une société meilleure. Mais il ne suffit pas d’étiqueter les confitures, il faut rendre réaliste, donc démocratiquement souhaité, le projet.
Dès lors se pose une question de méthode. Est-il possible en soixante pages de toucher à tout? La documentation ne devrait-elle pas être périodiquement mise à jour? Les ressources de l’informatique ne permettent-elles pas de sélectionner la recherche? Certes, on ne produirait plus un programme encyclopédique, valable un quart de siècle. Mais le PS ne se veut-il pas novateur?
Capitalisme
Etre social-démocrate, c’est se positionner de manière critique à l’égard du capitalisme, son pouvoir aliénant, son captage de la plus-value créée par les travailleurs. Mais le PS aime sur ce sujet des formules où l’on se dénombre. On se souvient du Congrès de Montreux où, dans l’enthousiasme, il avait voté sa rupture avec le capitalisme. Sans conséquence pratique.
Le programme 2010 est sur ce sujet plus original. A tête reposée, il propose de «remplacer la propriété privée des principaux moyens de production par une propriété collective». La tonalité de cette formule est marxiste, mais pas son interprétation.
Pour «dépasser» le capitalisme, le programme propose de renforcer, élargir, les services et les sociétés qui échappent à la maximisation du profit, qui est le propre des SA. Dans les assurances, les transports, la poste, les télécommunications, le contrôle démocratique peut être assuré par la loi, par la définition d’un mandat de prestations. Autres voies possibles: les coopératives, les sociétés où le personnel a des droits de participation, la coordination de la gestion de l’épargne salariale du second pilier.
Depuis sa fondation, bientôt cinquante ans, DP a rappelé la formule d’Alfred Sauvy sur les trois paliers de salaire: – le salaire ordinaire, contractuel, qui assure le niveau de vie, – le salaire différé qui garantit la retraite et la couverture sociale, – et enfin le salaire non distribué qui est la part des travailleurs sur la plus-value réinvestie dans l’entreprise même, et dont actuellement profitent seuls les actionnaires. Ces titres permettraient, gérés par un fonds syndical de placement, d’investir notamment dans le logement, en limitant dans ce secteur la spéculation.
Jusqu’à ce jour ces propositions étaient des idées, mais pas des idées-force. Le PS les inscrit dans son programme de dépassement du capitalisme. C’est un apport original.
Le suivi
La structure touche-à-tout du programme a pour effet que deux choix d’importance sont proposés sans être suffisamment documentés. C’est d’abord l’abolition du service militaire obligatoire. Aucune astreinte à une obligation de servir n’étant prévue en substitution.
Et surtout, l’adhésion à l’Union européenne. On sait le PS divisé entre la défense des monopoles – voir le chapitre sur le service public – et l’adhésion. La lecture du programme renforce cette impression de grand écart. Le sujet est d’une telle importance qu’il devrait être renvoyé à un congrès extraordinaire.
Et l’on retrouve la méthode. Il est illusoire de croire que pour une génération on va décider de l’orientation du parti socialiste. Il n’est pas certain que les militants se réfèrent à ce document lourd de soixante pages.
Il faut donc à la fois le rendre vivant et assurer son suivi. S’il est approuvé, ce qui en l’état est souhaitable, devrait être nommée une commission du programme. Non pas pour qu’elle le défende comme une référence constitutionnelle, mais pour qu’elle juge de son adaptation et de son utilité – puis de sa révision avant la prochaine Fête des vignerons.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!