Ils nous ont comptés. Depuis le début, ils comptent nos entrées et nos sorties. Le pouce rivé sur un petit engin miraculeux qui clique et claque, qui avance de zéro à l’éternité. Tout comme la schizophrénie comptable de Roman Opalka, artiste polonais qui a peint depuis l’âge de 37 ans un nombre après l’autre. Il vient d’atteindre sept millions. Il a 71 ans. Il continue.
Alignés dans les files compactes, disciplinées, qui jalonnent les pavillons, nous comptons le temps: une demi heure, un quart d’heure, c’est l’attente géométrique sous le soleil, la pluie, le vent, le néant. On s’approche. Puis la délivrance. Nous arrêtons de compter.
En un instant incalculable, nous sombrons, réduits à des petites unités destinées à l’extase statistique. Nous disparaissons dans le grand chiffre mémorable. Le trou noir mathématique. Voué au souvenir, malgré la défaillance d’autres comptes. Il va falloir les faire et les refaire. Déjà, ils se disputent au jeu vicieux de ce qui rentre et de ce qui sort.
Le geste compulsif se répète, se multiplie: appuyer c’est compter, empiler, accumuler, additionner. Plus la somme augmente, grandit, enfle, plus nos vies moulinent pendues au boulier rouge et blanc. Nous sommes chair à calcul. Sacrifiés sur l’autel du succès, du box-office. Mais du coup, on ne compte plus. On ne compte pas. Nous nous apercevons dans l’effroi du crépuscule, enfin dehors dans un monde indéchiffrable, qu’Expo.02 ne nous aime pas. md
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