C’était en mars de cette année. La Municipalité de Lausanne décidait de fermer les abattoirs de Malley à la fin du mois de septembre 2002. Contraints de s’adapter aux normes européennes en matière d’abattage, ils auraient dû subir des rénovations importantes. Les mauvaises perspectives financières, les coûts des travaux devisés à dix millions de francs et le désistement des grands distributeurs (Migros, notamment) ont persuadé la commune de renoncer à leur exploitation.
L’établissement de Malley voit le jour en 1945, au sortir de la deuxième guerre mondiale. Au terme d’une longue incubation politico-administrative, il quitte l’ancien emplacement de la Borde – au centre de la ville – pour s’installer à sa périphérie dans une zone faiblement habitée et bien desservie par le rail et le réseau routier.
Au moment de leur ouverture, les abattoirs lausannois sont à la fois le résultat d’un effort collectif sans précédent – 150 entreprises et maîtres d’Etat y participent – et l’espoir renouvelé dans les vertus de la raison. C’est le triomphe de la conception keynésienne de l’Etat : pourvoyeur d’emplois pendant une période économique morose et creuset d’innovations technologiques et architecturales au service de l’intérêt public. De plus, ils représentent la primauté de la centralisation sur l’éparpillement individualiste. La production devient industrielle, cadencée, standardisée. La démographie urbaine (l’augmentation de la population des villes), les impératifs hygiéniques (les lois sanitaires), le marché alimentaire (la consommation accrue de viande) sonnent le glas de la boucherie à la ferme ou de l’abattage artisanal. On tue des bêtes comme on assemble des voitures : à la chaîne. Le travail est strictement fractionné, compartimenté. La rentabilité est au cœur de l’entreprise. Car elle doit assurer son autofinancement. Toujours en avant. C’est la devise des abattoirs. Mais aussi le principe organisant leur fonctionnement. Les animaux rentrent vivant d’un côté et, après un trajet à sens unique bannissant tout contact étranger, ils ressortent du côté opposé dans les camions réfrigérés prêts à rouler vers les consommateurs. Métaphore d’un progrès linéaire sans bavures. Où la dignité de l’animal a aussi sa place. A Lausanne, les responsables des abattoirs ont toujours siégé à la Société vaudoise pour la protection des animaux (SVPA).
Malheureusement le temps passe, la toute puissance fantasmée de la modernité s’essouffle. On découvre qu’elle a un prix. Trop élevé. Et que l’histoire avance parfois en reculant ou en zigzaguant. Sacrifiant l’utopie productiviste et hygiéniste au profit d’autres expériences. A l’image de l’abattage dit biologique qui renonce au déplacement du bétail et revendique une boucherie de proximité gage d’une meilleure qualité de la viande. Le retour à la ferme un temps délaissée. Ou le succès du «local», selon la terminologie à la mode, dans un monde pourtant global. md
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