Les lecteurs de la Tribune de Genève sont-ils des demeurés? C’est ce que semble croire le rédacteur en chef du quotidien genevois.
Pour justifier la publication, le 4 septembre 2009, des photos d’identité judiciaire d’Hannibal Kadhafi, Pierre Ruetschi prétend que ces images devaient illustrer l’humiliation subie par le fils du maître de la Libye. Une humiliation que traduisaient également la photo de Hans-Rudolf Merz s’excusant à Tripoli et celle d’un des employés exhibant les blessures infligées par le couple libyen, publiées simultanément. Triple visualisation d’une triple humiliation. Le lecteur moyen n’avait pas besoin d’une telle image pour saisir l’humiliation que représentent une arrestation et une mise en cellule pour un fils à papa qui se croit tout permis. Les photos n’ont en rien ajouté une plus-value à l’information écrite (comme la version en ligne où ces photos ne figurent plus permet de le vérifier).
Le Tribunal de première instance jugera si la Tribune de Genève a contrevenu au droit. Ce qui est sûr par contre, c’est que le quotidien genevois a clairement bafoué l’éthique journalistique en ne respectant pas la sphère privée à laquelle même les voyous ont droit. Dire que l’intéressé est un personnage public n’autorise pas à publier n’importe lequel de ses portraits, en particulier ceux qui ressortissent d’une procédure judiciaire. Par ailleurs le journal a mal interprété le principe d’opportunité. Comme l’a rappelé Daniel Cornu, le médiateur du groupe Edipresse, en cas de prise d’otages le journaliste ne doit rien entreprendre qui puisse compromettre leur libération.
Dans cette affaire, le droit à l’information n’est pas en jeu. Mais bien plutôt la recherche à tout prix du sensationnel, dont les éditeurs croient à tort qu’elle va les sauver de la désaffection des lecteurs. La «blickéfaction» de la presse conduit à restreindre progressivement la protection de la sphère privée, à jeter en pâture des informations qui n’en sont pas. Triste évolution d’une presse qui voit la dégradation de l’éthique professionnelle accompagner la chute de l’audience.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!