Une construction publique, par sa visibilité, rend compte de l’utilisation de l’argent investi. L’édifice remplit une fonction: enseigner, administrer, soigner; il est donc exposé à une épreuve de vérification. Mais il témoigne aussi par son style. Quelle est l’esthétique de son époque? Il la contredit ou la renforce, c’est selon. Dès son inauguration, il va vieillir, bien ou mal. Il est une date.
Tel le Learning Center de l’Ecole polytechnique de Lausanne (EPFL). Jusqu’à ce jour, l’EPFL se distinguait sur le terrain par un ensemble de bâtiments denses, hauts, gris métalliques. Il y avait adéquation usinière entre les lieux de formation et les lieux de production.
Restait à aménager son «jardin». Espace de détente, de rencontre et d’étude – la bibliothèque, dont la dotation (500’000 livres) impressionne, devant y trouver place.
Ce bâtiment a fait l’objet d’un concours restreint, de très haut niveau, sur appel à des architectes internationalement connus.
Le jury, en portant son choix sur le projet de Kazujo Sejima et Ryue Nishizawa (bureau SANAA), a tranché nettement. Car sur ce terrain, orienté sud, l’idée première était de prendre de la hauteur pour installer un «balcon» avec vue sur le lac et la Dent d’Oche. Seuls les architectes japonais ont choisi un parti contraire: couvrir une bonne partie de l’espace d’un voile de béton, troué de points de lumière, créant des patios plutôt que des espaces gazonnés, développant ce que l’on pourrait appeler une architecture horizontale.
Tout sur rez
Construire en hauteur ce n’est pas seulement rentabiliser le sol en multipliant la surface disponible, c’est une affirmation d’orgueil créateur: s’inscrire plein ciel. L’architecture d’horizontalité (proche de l’urbanisme) a été réservée à l’aménagement de lieux de rencontre : marchés couverts, grenettes, cloîtres, portiques, ou appliquée à des construction qui se devaient d’être humbles et respectueuses devant la beauté du site.
Par rapport à ces références, le Learning Center ajoute une variante absolument originale: un bâtiment d’un seul tenant, dont les espaces en hauteur et en surface sont liés sans axe régulateur, sans cloisons, sans escaliers, mais unis par des pentes, des courbes. Le bâtiment, même s’il ne s’inscrit pas dans la hauteur, est toutefois décollé du sol par des voûtes puissantes.
Pentes
L’absorption des niveaux et des corridors oblige à recourir à la pente pour assurer la circulation d’un point à l’autre.
Architecturalement, c’est l’expérience la plus novatrice. A rebours des constructions ordinaires, par étages, assurant une utilisation plane du sol. Au Learning Center il faut parfois, pour récupérer une surface meublable, créer par une planche-muret une «terrasse». L’ascenseur incliné illustre cette contrainte, dévoreuse d’espace.
Mais la pente, de fait, donne tout son sens à la circulation. Elle rend possible le déambulatoire, car elle joue avec la lumière, partout présente. Les «passants» sont vus en silhouette, en vue plongeante, à contre-champ. Ils ne sont plus une cohue, ils sont des individus en mouvement, naturellement mis en scène. L’utilisation de la pente est l’apport historique à l’architecture moderne du Learning Center.
Le vote
Il reste à faire vivre ce bâtiment, la fréquentation de la bibliothèque étant déjà assurée de 7h à 24h, sept jours sur sept! Mais l’animation des espaces ne se décrète pas. Seuls les utilisateurs décident s’ils les font leurs. Ce bâtiment de grand luxe dans l’occupation du sol va commencer à vivre. Il attend le vote des usagers.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!