Une commission d’enquête parlementaire (au sigle prometteur CEP) est l’expression du pouvoir de haute surveillance qu’exerce l’Assemblée fédérale. Elle implique, pour que les deux Chambres en décident la création, des circonstances extraordinaires. Son mandat est défini dans l’arrêté qui la constitue.
Si une CEP est mise en place, lors de la session de mars prochain, elle aura comme raison d’être ce qu’on peut appeler l’affaire UBS, qui comprend deux volets. D’une part les diverses interventions de sauvetage de la banque; d’autre part la responsabilité de l’ancienne équipe dirigeante qu’incarne M. Ospel.
Le sauvetage
La nécessité d’intervenir pour éviter la faillite d’UBS ne fut guère contestée tant l’imbrication de la banque est forte dans l’économie nationale. Ce qui n’exclut pas que soient examinées les circonstances des sauvetages: – le recours au droit d’urgence; – le rôle de la Finma docile aux souhaits (ordres) du Conseil fédéral et complaisante dans son jugement sur la gestion d’UBS; – l’intervention directe de la Confédération en faveur d’une banque privée pour laquelle est signé un accord d’Etat; – l’étude du too big to fail confiée à une commission dont la composition est scandaleusement unilatérale (DP 1845). Tous ces chapitres et d’autres mériteraient examen pour décanter ce qui est politique d’intérêt national et traitement de faveur.
Politique d’UBS
Si la CEP dispose d’un pouvoir d’investigation total pour tout ce qui est politique gouvernementale, si en dehors de l’administration elle peut entendre des «témoins» au même titre qu’un juge civil, elle n’est pas une instance jugeant les fautes de l’ancienne direction d’UBS, ce qui risque de décevoir l’opinion publique. La CEP ne peut se contenter d’une condamnation morale. Elle doit pouvoir investiguer sur tous les errements d’UBS: le droit le justifie. La CEP pourra au besoin lever le secret bancaire: elle doit faire une pesée des intérêts. En l’espèce, l’intérêt public commande que les banquiers ne puissent se retrancher derrière leur secret protégé par la loi.
L’article 190
Nous avons déjà cité (DP 1857) l’article 190 de la loi sur l’impôt fédéral direct (LIFD), car la «soustraction» y est citée comme une grave infraction fiscale. Mais ce n’est pas la seule particularité de cet article. Nous citons:
Une caractéristique de cet article est de citer, au même rang que l’infraction fiscale grave, «l’assistance» ou «l’incitation». Or aussi bien l’assistance que l’incitation à de graves infractions fiscales renvoient à des activités bancaires ou de gestion de fortune. C’est pour de tels comportements qu’UBS a été condamnée aux USA. M. Ospel était aux responsabilités de la société.
Soupçon
On est en droit de poser la question: l’assistance à des clients soustrayant à l’impôt des montants importants, de manière continue, était-elle réservée uniquement à la clientèle américaine ou une certaine clientèle suisse en a-t-elle aussi bénéficié? Il est naturel qu’on se le demande, c’est-à-dire que l’on soupçonne UBS d’avoir eu la même attitude au service de clients soumis à la législation suisse et à l’IFD. Ce soupçon n’a, dans un premier temps, d’autre effet que d’autoriser l’ouverture d’une enquête.
Rôle de la CEP
Une telle enquête permettrait à la CEP de pénétrer dans la zone protégée d’UBS. Car si la CEP peut mener sous sa direction et sa responsabilité sa propre enquête, c’est dans les limites et les barrières protectrices du droit. C’est pourquoi l’article 190 LIFD lui sera précieux.
Les commissaires demanderont à M. Merz s’il a autorisé une enquête sur le comportement d’UBS en Suisse. On présume la réponse. L’article 190 n’a été appliqué par MM. Merz et Villiger que 20 fois en dix ans.
La CEP pourra ensuite demander que le chef du département des finances autorise une telle enquête – cette fois-ci de nature pénale, et elle aura la faculté d’en suivre le déroulement. La procédure prévue à l’article 190 LIFD confère à l’administration et éventuellement au juge des pouvoirs propres permettant le cas échéant de lever le secret bancaire.
Rupture
La mission première de la CEP, dans l’esprit des citoyens, ce n’est pas le contrôle du Conseil fédéral, mais le jugement des anciens responsables d’UBS. Après le refus réitéré du Ministère public zurichois, ils semblent hors d’atteinte. Même la Convention de diligence, sorte de justice privée, n’a pas été appliquée par l’Association suisse des banquiers.
Cette impunité, en regard de l’importance des dégâts nationaux, est ressentie par les citoyens comme profondément injuste. Un dysfonctionnement des institutions.
L’application de l’article 190 LIFD ouvre une brèche. A la CEP de l’exploiter pour poursuivre jusqu’au bout ses investigations. Sans préjuger des résultats, son rapport devrait marquer une rupture avec la gestion bancaire suisse.
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