Pauvre Conseil fédéral qui, pour ne pas faire usage du pouvoir de décision que lui donne le droit d’urgence prévu dans la Constitution en matière de politique étrangère, laisse les tribunaux juger que la Finma, qu’il avait chargée de livrer 285 dossiers au fisc américain, a outrepassé ses compétences. Une ordonnance fondée sur le droit d’urgence, justifiée dans ces circonstances, aurait, elle, clos juridiquement la question.
Même erreur avec l’accord d’août 2009 pour sauver UBS. On charge alors l’Administration fédérale des contributions de conclure ce qui est censé être un complément au protocole d’interprétation de l’article 26 de l’accord de double imposition de 2003 avec les Etats-Unis, article qui règle les conditions de l’entraide administrative.
Dans un cas comme dans l’autre, le Conseil fédéral a renoncé à distinguer entre évasion et fraude fiscale, en anticipant sur l’engagement qui a permis à la Suisse de ne plus figurer sur la liste grise de l’OCDE.
S’engager à livrer 4’450 dossiers, même en respectant les procédures, c’est-à-dire le droit de recours des personnes concernées, nécessite une base juridique formelle, dit le Tribunal administratif fédéral. S’attendre à ce que les juges acceptent de considérer comme de la fraude ce qui a toujours été de l’évasion fiscale était un peu léger. Il aurait pourtant suffit que l’accord d’août 2009 soit soumis dans les six mois au Parlement, comme le prévoit la loi sur l’organisation de l’administration (art. 7b), pour que les conditions d’octroi de l’entraide administrative fixées soient applicables avec effet immédiat.
Avoir évité de demander l’accord du Parlement sur une question aussi centrale s’est avéré être un faux calcul. Faux et surtout dangereux, à entendre les réactions de ceux qui semblent avoir oublié déjà quelles conséquences aurait un refus d’appliquer les normes de l’OCDE sur l’entraide administrative. Que l’on s’efforce d’éviter l’échange automatique d’informations fiscales est de bonne guerre, à condition que l’on s’y prépare discrètement. Que l’on veuille à nouveau refuser l’échange au cas par cas pour l’évasion fiscale serait suicidaire.
Ces tactiques malheureuses traduisent pourtant un malaise plus profond. La nouvelle Constitution, en voulant partager les compétences de politique étrangère entre le Conseil fédéral et le Parlement, a créé une situation peu claire. Le Conseil fédéral doit consulter les commissions sans savoir si le Parlement aurait suivi. Dans des dossiers aussi délicats, le gouvernement doit pouvoir décider et négocier seul, et il l’a fait ici, mais il doit ensuite soumettre les accords conclus à l’approbation du Parlement, voire du peuple. Sur ce plan il n’a jamais été clair, d’où le malaise de nombre de parlementaires et leur Schadenfreude aujourd’hui. Gageons qu’ils sauront demain oublier leur mauvaise humeur et voter dans l’intérêt du pays. Rien en tout cas n’est plus catastrophique que de laisser des juges venir fausser un débat qui doit être politique.
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