«Autorité directoriale et exécutive suprême de la Confédération», le Conseil fédéral donne plutôt l’impression de ne rien diriger et de préférer la temporisation à la décision. Le dossier des deux ressortissants ouïgours détenus à Guantanamo en est une consternante illustration.
En janvier 2009, le gouvernement helvétique salue la décision du président Obama de suspendre les procédures d’exception contre les détenus de Guantanamo, des procédures qui violent les Conventions de Genève, et de fermer cette prison. Berne répond favorablement à la demande américaine d’accueillir certains des détenus qu’un renvoi dans leur pays mettrait en danger, une disponibilité qui n’est peut-être pas étrangère aux relations alors tendues avec les Etats-Unis en raison des activités délictueuses d’UBS.
Fin août, une délégation suisse se rend à Guantanamo pour évaluer le dossier des candidats à l’accueil. Puis la bonne volonté helvétique faiblit. Trois détenus, un Libyen, un Algérien et un Ouïgour, «vendus» par le Pakistan aux Américains et reconnus sans danger par ces derniers, se voient refuser l’asile par l’Office fédéral des migrations. Le recours du candidat algérien est admis par le Tribunal administratif fédéral pour cause de procédure bâclée. Le recours des deux autres requérants n’a pas encore été tranché.
En décembre, le Conseil fédéral accepte de donner asile à un ressortissant ouzbek qui sera pris en charge par le canton de Genève. Le Jura rappelle alors qu’il a manifesté sa disponibilité à accueillir les deux derniers Ouïgours de Guantanamo sans point de chute, une décision restée sans réponse. Mais la Chine se manifeste. Sa représentation à Berne demande à la Suisse de renoncer à son invitation et exige que ces deux citoyens chinois, considérés comme des terroristes par Pékin, lui soient livrés. Courageusement, la commission de politique de sécurité du Conseil national conseille au Conseil fédéral de renoncer.
Des députés UDC, habituellement sourcilleux en matière de souveraineté suisse, se montrent soudain bien timides: Christoph Mörgeli craint la suppression de milliers d’emplois en cas de conflit avec l’Empire du milieu; et Yvan Perrin, que l’isolement de la Suisse au milieu de l’Europe n’a jamais troublé, constate que notre pays a déjà suffisamment de problèmes avec ses voisins sans s’attirer encore les foudres de la Chine. La commission des affaires extérieures du Conseil des Etats s’est contentée de faire part de sa préoccupation.
Aux dernières nouvelles, Eveline Widmer-Schlumpf doit encore rencontrer un ministre jurassien à la fin de ce mois avant que le Conseil fédéral ne se décide. Les deux Ouïgours attendront donc. Voilà bientôt huit ans qu’ils croupissent dans des cellules de haute sécurité, sans procès et sans condamnation et même reconnus innocents. Cette temporisation est indigne. La référence aux Conventions de Genève et aux droits humains ne peut se contenter de l’habituel gargarisme officiel; elle exige maintenant une décision concrète.
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