Revirement inattendu. La très rigoureuse Eveline Widmer-Schlumpf proposait en janvier un nouveau durcissement de la loi sur l’asile. Huit mois plus tard, elle envisage d’abandonner la procédure dite de non-entrée en matière. Cette procédure vise à refuser l’asile sans examen formel de la demande. Elle était la mesure phare d’une réforme de la loi déposée par Ruth Metzler. Christoph Blocher avait mis la touche finale à cette rigueur en étendant la non-entrée en matière à tout requérant ne pouvant présenter une pièce d’identité valable. Il fallait dissuader les réfugiés de détruire leurs papiers pour mentir sur leur véritable situation. Face à cette mesure jugée inique, les défenseurs du droit d’asile avaient lancé un référendum. Combat perdu d’avance. En septembre 2006, la loi était plébiscitée par vote populaire à une majorité de 68 %.
Depuis une décennie, la Suisse s’acharne à se rendre inhospitalière pour dissuader les candidats à l’asile. Mais c’est peine perdue. L’afflux de réfugiés dépend d’abord de la situation politique et économique des pays d’origine et accessoirement de l’attraction des pays d’accueil. Les rigueurs accrues de la loi sur l’asile ont coïncidé avec une recrudescence des entrées. La nouvelle règle sur les pièces d’identité n’a pas diminué le nombre des requérants se présentant sans papiers et ceux-ci restent difficilement renvoyables.
La procédure de non-entrée en matière est donc inefficace. Elle a en outre le défaut d’être incompatible avec les accords passés avec l’Europe. Pour respecter pleinement les Accords de Dublin, les pays signataires doivent garantir une procédure formelle, ce qui n’est plus le cas en Suisse. En début d’année déjà, Eveline Widmer-Schlumpf laissait entendre que de nouvelles règles sur la réadmission de réfugiés entre pays membres allaient imposer des modifications à notre législation. Nous y sommes huit mois plus tard. La non-entrée en matière qui prévoit un refus aveugle de l’asile n’est pas compatible avec la nouvelle réglementation européenne sur les réadmissions. La Suisse devra donc revoir sa loi sur l’asile ou dénoncer les accords Dublin, ce qui ne lui serait pas favorable. En chargeant un groupe d’experts d’étudier l’abandon de la non-entrée en matière, la conseillère fédérale abandonne l’acharnement de la rigueur dissuasive au profit du réalisme, du maintien d’une stratégie européenne. Rien de plus logique, même si l’abandon de la procédure de non-entrée en matière ne changera pas grand-chose pour les requérants: que leur demande soit refusée après une non entrée en matière ou après un examen formel, ils n’ont, depuis 2008, plus droit à l’assistance offerte aux demandeurs d’asile, mais plus qu’à l’aide d’urgence.
L’asile, et plus largement le problème des migrations, imposent des solutions collectives. A défaut de réponses internationales souhaitables mais encore inexistantes (cf. DP 1821), le réalisme impose une stratégie au niveau du continent. Les Accord de Dublin sur l’asile sont loin d’être parfaits. Mais la structure existe et elle évolue. C’est ce que prouve justement la nouvelle règlementation sur la réadmission. Une harmonisation plus poussée des règles d’accueil pourrait éliminer l’interminable surenchère de rigueur entre les pays d’accueil européens. Plus ambitieuse encore, une procédure unique et une répartition des réfugiés entre les pays membres apporteraient une réponse cohérente à ce défi intercontinental.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!