Ce fut – c’est – un homme politique qui a du nez. Ce jugement n’est pas celui d’un caricaturiste le portraiturant à la Cyrano de Bergerac, mais celui de Pascal Couchepin parlant de lui-même. Dans ses entretiens avec Jean Romain, il affirme : « Plus j’avance en politique, plus je me dis qu’une des qualités absolument indispensable à l’homme politique est la capacité de sentir ce qui est faisable. Il existe sur le marché des idées une offre incroyablement abondante et diversifiée et un homme politique peut difficilement inventer une idée. Mais l’homme politique doit sentir ce qui est juste ».
Ce flair a été mis à l’épreuve lors de la lente et méticuleuse, si ce n’est résistible, ascension au Conseil fédéral. Y accédant, Pascal Couchepin pouvait exprimer le même satisfecit que Nicolas Sarkozy lors du débat du second tour de l’élection présidentielle : on n’arrive pas par hasard en finale. Il faut pour triompher du savoir-flair.
Cette aptitude marque aussi une limite. Pascal Couchepin aime qu’on lui fasse sur les sujets à débattre des notes de synthèse, brèves. Il assimile, juge et décide vite, parfois trop vite. Mais il n’est pas dans son style de vouloir modifier les données de base, d’entraîner une autre majorité (un homme politique peut difficilement inventer une idée). Il aime marcher en tête, sans s’occuper de l’intendance parlementaire, qui n’a pas toujours suivi. D’où son goût et son talent pour la présidence, où il a rendu l’éminent service de cadrer Christoph Blocher, pour la représentation internationale (l’album de famille où il côtoie les grands) et les questions culturelles. En revanche, il lègue des affaires sociales en fâcheux état, y compris l’assurance-chômage révisée lors de son passage au Département de l’économie.
Chez Pascal Couchepin coexistent le désir de servir l’Etat – il vante son admiration pour Mendès-France et il est entré en politique quand J.-J. Servan-Schreiber écrivait “Ciel et Terre”, cette utopie radicale – et son réalisme, sans illusions sur les motivations politiques. Illustration : le problème du secret bancaire. Pascal Couchepin est sur ce sujet plus nuancé que ne l’était Kaspar Villiger qui assénait le “pas négociable”. Le Valaisan pensait (en 2002, sortie des Entretiens) que mieux vaut dialoguer même si l’on n’est pas en position de force – et de citer à l’appui un épisode de l’histoire suisse. Après 1848, la France réclame que des révolutionnaires réfugiés en Suisse lui soient livrés. Refus suisse. La France convainc alors tous les pays voisins du nôtre de décider qu’ils n’accepteraient pas que les révolutionnaires puissent un jour revenir dans leur pays. La Suisse fait le calcul qu’elle devra donc les entretenir durablement. La dépense l’effraie. Elle cède et expulse les hommes que la France réclamait. Pascal Couchepin, qui aime à citer ce morceau de Realpolitik, ne l’assortit d’aucun commentaire éthique.
Avec Couchepin, c’est un magistrat de la génération née pendant la guerre ou l’immédiate après-guerre qui se retire. Vient le tour d’une génération qui a connu d’autres circonstances historiques : la chute du communisme soviétique, l’élargissement de l’Union européenne, la mondialisation accélérée, la révolution technologique, etc. Cette nouvelle génération, quelles sont ses références, sa conception du pouvoir? La succession de Couchepin ne peut donc pas être une élection ordinaire. Elle appellera préalablement une discussion interpartis et publique sur la réorganisation du pouvoir fédéral, sur le programme et, in fine, sur les personnalités.
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