La privatisation de la distribution de l’eau en Suisse est une controverse stérile et déconnectée de la réalité. C’est ce que conclut Géraldine Pflieger dans l’étude L’eau des villes publiée aux Presses polytechniques romandes. Détentrice de pouvoirs importants dans un Etat décentralisé, les villes ont pris en main les transformations dictées par l’urbanisation accélérée de la seconde partie du XIXe siècle. La découverte de la technique de distribution sous pression a contribué à créer les empires municipaux de gestion des eaux qui font aujourd’hui partie de l’identité suisse. Seule exception, la ville de Zoug est desservie par la société privée Wasserwerk Zug AG. La négociation au sein de l’OMC sur la libéralisation des services englobant la distribution de l’eau a donc soulevé une vague de protestations. Le Conseil fédéral s’est alors senti contraint de ne rien céder sur l’eau (cf. DP 1641).
Le contraste est frappant avec la France voisine. La centralisation du pouvoir ne laissant pratiquement aucune marge de manœuvre aux municipalités, l’Etat central a confié la création des réseaux d’adduction à de grandes sociétés privées. L’exemple du voisin français a, dans un premier temps, influencé la Suisse romande. Alors que les grandes villes alémaniques créaient leur réseau sous régime public, à Genève, les radicaux entendaient confier la concession à un privé français, la Société lyonnaise des eaux. Il a fallu, détail piquant, le renversement en 1882 de majorité en faveur des libéraux-conservateurs pour que la gestion des eaux soit confiée à la ville. Un scénario à peu près analogue s’est déroulé dans la capitale vaudoise. La société privée Lausanne-Ouchy gérait les eaux à usage industriel alors qu’un autre privé, la SEAUL, obtenait le monopole de la distribution de l’eau de consommation. Après une épidémie de typhoïde provoquée par le mauvais état du réseau, les libéraux ont accusé la municipalité radicale de ne pas contrôler la situation. Ils ont obtenu, en 1901, la municipalisation de l’eau. La distribution de l’eau, couplée avec celle de l’électricité, permet de développer des entreprises puissantes qui contribuent généreusement au financement des villes.
Si la distribution publique de l’eau est incontestée, son contrôle par les seules villes centre fait aujourd’hui problème. Car la gestion moderne de l’eau ne se conçoit plus que pour l’ensemble d’un bassin hydraulique, en intégrant la garantie de l’approvisionnement, la maîtrise de la consommation, la protection de l’environnement La domination de la ville centre devrait donc laisser la place à une gestion régionalisée. C’est déjà le cas à Genève où le canton a de larges prérogatives. La réforme reste à faire en terre vaudoise. Elle crée la controverse. Dans le nord du canton, la création d’une société intercommunale fait resurgir la menace d’une privatisation dont personne ne veut.
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