L’analyse du rejet de l’initiative pour l’imposition des gains en capital proposée par le PSS use et abuse de quelques préjugés. Pourtant, il semble indispensable
de les soumettre à un examen plus approfondi.
A la suite du rejet de l’initiative pour l’imposition des gains en capital lors des votations fédérales du 2 décembre, le communiqué de presse du Parti socialiste suisse avoue sa déception, tout en se réjouissant du « succès d’estime » obtenu. Pourtant, avec un pourcentage d’environ 34 % des voix, la défaite semble plutôt nette. Il y a peu, le même résultat obtenu par Doris Cohen-Dumani face à Daniel Brélaz pour la syndicature de Lausanne évoquait une déroute cinglante. Sans suggérer l’émergence d’une conscience nouvelle, comme le laisse entendre le communiqué du PSS, le tiers favorable à l’initiative sur les gains en capital indique vraisemblablement une approbation de routine, rangée habituellement à gauche, du principe envisageant une imposition généralisée des revenus.
Affirmer tout et son contraire
D’autre part, le contexte défavorable amplifie un peu plus le sentiment d’un succès à peine frôlé. Car les perspectives économiques incertaines ne peuvent que susciter les réflexes conservateurs des contribuables. Malheureusement, les contingences se refusent méthodiquement au bonheur des impôts nouveaux. Une situation économique de signe contraire, propice aux marchés financiers, aurait pu avoir une issue similaire, soucieuse à son tour de ne pas déranger avec une saignée intempestive un organisme qui se porte bien. L’écart séparant le dépôt d’une initiative et sa votation populaire encourage volontiers ce genre d’analyse dessinant la dépendance coupable de l’opinion publique face aux fluctuations conjoncturelles.
Pas de cause à effet
Voilà que la thèse de la disparité des moyens engagés dans la campagne précédant le vote sonne définitivement le glas d’un examen moins indulgent de l’échec de l’initiative. Qui a plus d’argent gagne. L’axiome s’énonce facilement. Son pouvoir de persuasion est patent, au même titre qu’« une campagne massive, pouvant compter sur un budget de plusieurs millions de francs [ ?] ». Cependant, la puissance financière n’est pas un gage inébranlable de victoire. L’acceptation de l’initiative populaire « Pour la protection des régions alpines contre le trafic de transit » en 1994 ou l’aboutissement du référendum s’opposant à la privatisation de la BCV dans le canton de Vaud cette année, montrent que la relation de l’argent avec la formation de l’opinion, via la maîtrise des appareils médiatiques, est bien plus complexe qu’un rapport de cause à effet.
Finalement et naturellement, l’immaturité congénitale des votants vient boucler la boucle. Il est toujours trop tôt ou trop tard. Comme si la faculté de juger, et de juger au bon moment, les sujets soumis au vote faisait singulièrement défaut au peuple. « Ils comprendront à terme [ ?] » égrène le communiqué du PSS. Il s’agit d’une disposition décisive de l’analyse politique suisse. Aux yeux des perdants, les votants qui n’ont pas soutenu la proposition sont forcément dans l’erreur. Ils votent faux, rappelant l’exclamation désormais proverbiale de Delamuraz le soir du vote contraire à l’adhésion de la Suisse à l’EEE. Et non seulement ils se trompent, mais ils font preuve également d’une certaine déficience intellectuelle. On est proche de l’injure. Quand on sait que « personne ne contestait vraiment la réalité de l’injustice fiscale criante [ ?] que l’initiative cherchait à éliminer ».
Une vision fataliste
Or, ces arguments assemblés Ð succès d’estime, conjoncture défavorable, disproportion des moyens, immaturité du corps électoral Ð paralysent la compréhension du résultat. Que dire de l’impuissance de l’injustice (de sa dénonciation) en politique ? Des limites d’une proposition l’attaquant frontalement (où il y a un revenu, il y a un impôt) ? Que dire encore de la difficulté à transformer l’indignation en action politique ? Ou de l’embarras face à la complexité de l’opinion publique à la fois désabusée, réticente au changement et prête à contester (suivant des incitations opportunistes et démagogiques) les institutions et leurs dysfonctionnements ? Autant de questions détournées par le communiqué. Qui offre une vision fataliste du débat échappant au contrôle de ceux qui en sont responsables.
Marco Danesi
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