On s’en gaussa dans les cantons suisses. Outre-Jura, le directeur de France-Télévision s’est vu obligé d’appliquer une des dispositions de la loi sur l’audio-visuel avant qu’elle fût adoptée par le Parlement, le Sénat n’ayant même pas délibéré. Il fit entrer de force, avec l’aval de son conseil d’administration, la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Ainsi en avait décidé le prince.
Mais les Suisses au rire républicain ont la mémoire courte. Lorsque la publicité télévisée fut introduite, les Chambres fédérales ne furent pas saisies de cet objet. Dans sa séance du 24 avril 1964, le Conseil fédéral se contenta de modifier l’article 10 de la concession qui réglemente l’exploitation de la TV. Certes, il y eut consultation, rapport, articles dans la presse appelée à partager le gâteau publicitaire; le conseiller fédéral Spühler avait renseigné les parlementaires. Mais la décision de principe échappa à tout débat et prise de décision démocratique (DP 12, du 7 mai 1964).
Captifs
La publicité télévisée prit un essor rapide alors que tous les ménages adoptaient ce support de communication et de divertissement. Elle a la particularité de toucher une clientèle captive. Le téléspectateur ne peut tourner la page. Certes, il est libre de zapper. Mais il découvre vite que les chaînes passent la pub dans les mêmes plages temporelles. Entre concurrents, il y a accord. C’est un cartel. Il a en commun les mêmes procédés: utilisation de la météo pour retenir le téléspectateur, camouflage dans les programmes publiés des horaires de la pub, etc.
Temps libre
La réduction du temps de travail est une conquête sociale essentielle. A la condition qu’on ne soit pas obligé de payer en minutes l’acquisition ou la jouissance de certains biens. On paie en déplacements domicile-travail, on paie en attente à la caisse, au guichet, etc. Et l’on paie en minutes de pub. Aussi la suppression de la publicité peut être présentée comme une récupération de temps libre aliéné. On n’a plus à payer la redevance temporelle.
Mais le cadeau du prince à son peuple est trompeur. Les chaînes privées, ayant l’exclusivité de la publicité, peuvent en payant le prix se réserver l’exclusivité des droits de retransmission des grands événements. Car, ce qui est décisif, ce n’est pas seulement l’extension de la pub en minutes, mais le prix de ces minutes qui peut atteindre des sommes astronomiques quand le spectacle sportif ou artistique est unique. Et la ristourne prévue en France de 1,5% à 3% des recettes publicitaires aux chaînes publiques ne change rien au renforcement de la capacité de surenchère offerte aux chaînes privées.
La reconquête du temps libre est une illusion si, en même temps,on consolide le système où à coups de millions on crée l’événement qu’il faut, même entrelardé de pub, avoir vu.
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